Hervé Mukulu

RDC-Burundi: les Forêts et les parcs  victimes de l’exiguïté et de l’infertilité des champs familiaux 

La taille moyenne d’une exploitation agricole par ménage diminue dans les zones rurales de la RDC et du Burundi suite à la pression démographique. Elle est suivie de la perte de fertilité à cause de la surexploitation. Conséquence : la population s’accapare des nouveaux espaces forestiers, y compris dans les parcs et aires protégées, à la recherche des nouveaux champs vastes et fertiles. Ce qui, en RDC, entraîne la déforestation, la prédation de la biodiversité, notamment la faune et la flore, ou au Burundi, affecte les rivières. Mais ces migrations vers les forêts vierges à la recherche de nouveaux champs fertiles ne constituent pas une panacée, comme l’explique ce grand reportage collaboratif réalisé au Burundi par Arthur Bizimana et en RDC par Hervé Mukulu avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.

Herbes sous le feu, des arbres coupés inclinés sur les vieux troncs d’arbres dans la réserve naturelle de Monge… C’est le paysage qu’offrent les alentours de la colline Kayombe en zone et commune Bugarama de la Province Rumonge au sud-ouest du Burundi. La forêt cède progressivement la place aux champs agricoles de pomme de terre et de choux.

Les agriculteurs cultivent jusqu’au-delà de la rivière Mahuba qui délimite la réserve naturelle de Monge avec les exploitations agricoles des particuliers en détruisant toute végétation au passage.

A la création de la réserve naturelle de Monge en 1989, sa superficie s’élevait à 5000 hectares et abritait 47 ménages autochtones, indique Niyongabo Cyprien, responsable de la réserve naturelle de Monge.

Cependant, sa superficie a diminué sensiblement au fil des années. Elle s’élève à 3200 hectares à l’heure actuelle. Plus de 30 ans après sa création, environ 2000 hectares sur 5000 de la réserve naturelle de Monge sont déjà partis en fumée, regrette Niyongabo Cyprien.

Aujourd’hui, lorsque leurs champs ne produisent plus assez, les agriculteurs les abandonnent pour ouvrir des nouveaux espaces de la forêt :

« Par le passé, ces étendues nues étaient cultivables. Lorsqu’elles sont devenues infertiles, jusqu’à ce que les herbes n’y poussent pas; les agriculteurs ont défriché d’autres terres cultivables de la forêt. La présence des ménages à l’intérieur de la forêt est une menace pour Monge », se lamente Bizoza Léonidas, garde forestier.

Les autochtones ne se sont pas arrêtés là. Ils se sont accaparés des terres de la réserve naturelle de Monge et les ont vendues aux migrants, car elles étaient très fertiles.

Les autochtones et les nouveaux occupants, leur nombre a augmenté. De ce fait, leurs lopins de terre sont devenus insuffisants pour toutes ces familles d’agriculteurs. Ils se sont par conséquent tournés vers la forêt pour agrandir leurs exploitations agricoles ou ouvrir des nouveaux champs, explique le responsable de la réserve naturelle de Monge.

« La forêt de Monge s’éteint petit à petit suite à l’augmentation de la population qui fait l’agriculture, pratique de l’élevage et coupe les arbres », alarme Cyprien Niyongabo.

« Si rien n’est fait dans l’immédiat pour la préserver, la  réserve naturelle de Monge peut disparaître », avertit Niyongabo.

Un habitant qui a requis l’anonymat révèle que dans la région de Monge, certains agriculteurs occupent illégalement la réserve naturelle et d’autres l’exploitent avec l’aval des gardes forestiers. Il évoque le cas des agriculteurs qui ont étendu leurs exploitations agricoles dans la forêt de Monge aux alentours de la colline Kayombe, en zone et commune Bugarama, province Rumonge au sud-ouest du Burundi.

Pour y cultiver, ils donnent le pot de vin dit « Ikibando» aux gardes-forestiers. Qui se traduit par « Gros bâton » en référence aux bâtons que les éco-gardes se munissent lors des patrouilles  

« Les intermédiaires entre les agriculteurs et les garde-forestiers collectent de l’argent et en offrent aux garde-forestiers»  révèle cet informateur.

«S’ils avaient eux aussi consenti à donner le pot de vin, ils seraient épargnés des poursuites de tout le temps», ajoute-t-il.

Pour se justifier, les écogardes disent que la forêt de Monge est exploitée clandestinement pendant les heures hors services.

Berchmans Hatungimana, directeur de l’Office Burundais pour la Protection de l’environnement reconnaît que les écogardes sont parfois complices de l’attribution des terres dans les forêts.

«Dans la mesure où ils sont attrapés, ils sont révoqués de leurs fonctions et ensuite traduits en justice», précise-t-il.   

A l’ouest du Burundi, nous sommes en RDC,  dans la province du Nord-Kivu, les limites du plus vieux parc d’Afrique, le  Virunga, sont en perpétuelle menace suite à la recherche par les riverains agriculteurs des nouvelles terres à cultiver. 

Pour  cultiver dans le parc, il y a certaines personnes qui se font passer pour des chefs  coutumiers de la région, s’accaparent des terres du parc et les vendent aux pauvres ignorants, car beaucoup ne connaissent pas les limites qui séparent le parc et des terroirs traditionnels voisins du parc.”, indique Nzilamba Mukwahabiri Tridon , chef du service de l’agriculture, pêche et élevage AGRIPEL de la commune rurale de Kyondo qui ouvre la voie au parc des Virunga en territoire de Beni (Nord-Kivu).

Mais il n’y a pas que ceux qui se font passer pour des coutumiers qui s’introduisent dans ce patrimoine de l’humanité. D’autres y vont clandestinement, convaincus que les terres des Virunga sont plus fertiles que les leurs surexploitées.

Quand un individu commence à cultiver dans le parc en clandestinité, il est suivi par les autres qui envient sa récolte, poursuit Nzilamba Mukwahabiri Tridon. Les premiers à s’y introduire arrivent mêmes à vendre les terres du parc aux nouveaux arrivants.

Et ces champs n’attirent l’attention des éco-gardes que quand ils deviennent nombreux. En représailles, les gardes-forestiers vont jusqu’à détruire les récoltes de ceux qui envahissent le parc pour les décourager.

Ils attendent presque la maturation des cultures plantés illégalement dans le parc  comme le riz, le manioc, … juste avant la maturation, ils viennent tout raser à terre, réduisant ainsi à zéro  le travail clandestin de 6 mois à 2 ans et arrêtent également les fautifs”, témoigne Nzilamba Mukwahabiri Tridon.

Pour être libérés des geôles des gardes-forestiers, ils vont jusqu’à vendre leurs biens laissés ici  au village pour payer les amendes. », un cercle vicieux de pauvreté que déplore l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon

Bienvenue Bwende, chargé de communication du PNVi est ferme face aux violations des limites : « toute activité illégale dans le parc est un crime environnemental. Le Virunga est un espace inviolable ». Mais les gens y vont toujours car n’ayant pas de choix: “« A cause des conflits fonciers et des éboulements des terres, on y va comme ça mais  ce n’est pas là qu’il y a la solution » se désole Kavira Kavalami Marie José,  directrice du  Centre d’Etude des Mécanismes pour le Développement Local de Kyondo. 

Les parcs menacés, difficile cohabitation entre l’homme et la faune

La taille moyenne d’une exploitation agricole par ménage diminue progressivement dans les zones rurales du Burundi. 

En 2015, l’Institut National des Statistique du Burundi (INSBU en sigle) montre que la taille moyenne d’une exploitation agricole d’un ménage ayant 6 enfants s’élevait à 0,5 hectare en 2015.

Pour pallier l’exiguïté et l’infertilité des terres, les cultivateurs dépassent les limites des parcs. En conséquence, les animaux sauvages ravagent leurs cultures : «  Nous cultivons les champs agricoles aux alentours du parc. Toutefois, les animaux viennent ravager nos cultures», se lamente l’agriculteur Hasabamagara qui cultive aux alentours du parc national de la Ruvubu quand nous l’avons croisé à Rwamvura, en commune Kigamba et province Cankuzo dans la partie Est du Burundi.

Les responsables du parc tentent de s’expliquer. D’après eux, le code forestier du Burundi de 2016 prévoit la zone tampon d’un kilomètre (1 km) entre les limites des parcs et les champs des particuliers.

 “Cependant, nous constatons que les agriculteurs cultivent jusqu’aux limites des parcs. Parfois, ils dépassent les limites des parcs et remettent en cause les dimensions du parc” observe le responsable du Parc national de la Ruvubu Bakundintwari Marc.

L’absence de la  zone tampon limite la liberté des animaux :”Quand ils sortent dans les parcs, ils se retrouvent directement dans les ménages et dans les champs des citoyens”, explique le responsable du Parc national de la Ruvubu.  

La situation est similaire aux tours des Virunga dans l’est de la RDC : des villages et champs se prolongent dans l’aire protégée, et des animaux en provenance du parc envahissent les habitats ou détruisent des cultures, entrainant un conflit entre l’homme et la faune.

«AuSud (du parc national des Virunga, ndlr) , des villages de pêche qui ont existé avant la création du parc ne cessent de croître comme Kamandi , Kisaka, Muramba, Kyavinyonge, jusqu’à s’étendre dans le parc, au Nord, les villages n’ont plus de champs fertiles et s’approprient des terres  arables dans le parc comme c’est le cas de Mayangose, Nyaleke ou Kanyatsi.  Il y a aussi défis des limites  au centre : Kasindi, Isale, Karuruma et Lubirihya.  Aussi, les agriculteurs voient les animaux du parc détruire leurs cultures dans leurs propres champs. Des situations qui entrainent des conflits entre l’homme et la faune.”,  fait savoir le professeur Paul Vikanza, chercheur en environnement et développement des populations à l’Université catholique du Graben (UCG) basée à Butembo (Nord-Kivu). 

En RDC comme au Burundi, les responsables des parcs peinent à résoudre le problème. «S’ils (les animaux,ndlr) ravagent les cultures, les fonctionnaires du parc notent et  s’en vont. Personne n’est dédommagé. Par contre, s’ils attrapent les chasseurs dans le parc de la Ruvubu, ils purgent leur peine», déplore l’agriculteur Hasabamagara du Burundi.

En guise de solution, les agriculteurs organisent des patrouillent et protègent leurs cultures. «Lorsque les animaux sauvages commencent à sortir dans le parc, nous organisons des rondes nocturnes  et allumons les feux pour les empêcher de ravager nos cultures», raconte  l’agriculteur Hasabamagara Marc.

Si les agriculteurs s’absentent, ne fût-ce qu’un seul jour, aux rondes nocturnes, ces animaux peuvent tout ravager. Ils attestent ne dormir à la maison qu’après la récolte.

Les grands mammifères  comme les buffles causent énormément des dégâts. Il y a parfois de mort d’homme.

Au sud-ouest du Burundi, dans la réserve naturelle de Monge, les agriculteurs tendent des pièges aux animaux sauvages afin qu’ils y tombent s’ils viennent ravager leurs cultures,  explique Léonidas Bizoza, écogarde. Or, le piégeage tue et  fait fuir les animaux, constate Léonidas. 

L’incendie, l’autre défi

Autour du parc national de la Ruvubu, à l’est du Burundi, les agriculteurs brûlent les herbes qu’ils ont défrichées dans les champs: « nous regroupons toutes les herbes et les brûlons. La cendre est utilisée comme intrant agricole. On le met à chaque jauge de haricot et de maïs. », assure Ndikumana Sylvie, agricultrice que nous avons rencontré sur la colline Rwamvura.

Dans certains cas,  le feu peut doubler d’intensité et dépasser la capacité d’extinction de celui qui l’a allumé et s’étendre sur les collines et les parcs, révèle Surwanone Gloriose, agricultrice de la commune Bweru, en province Ruyigi.  

Dans d’autres cas : « nous pouvons brûler les herbes la journée lorsque le soleil brille encore. Si on rentre sans toutefois avoir bien vérifié que le feu s’est éteint, il peut augmenter et s’étendre sur d’autres lieux. Ainsi, le feu de brousse voit le jour», poursuit-elle. Ce qui entraine des feux de forêt.

Les feux de brousse effacent les limites du parc de la Ruvubu et permettent aux agriculteurs d’agrandir leurs champs dans le parc” regrette le responsable du parc de la Ruvubu.

Chaque année, le Burundi connaît les feux de brousse. Les trois aires protégées qui ont fait objet de notre enquête ont toutes connu récemment les feux de brousse.

feu de brousse au Burundi © Arthur B.

Alors que le Burundi a perdu 366 hectares de forêts primaires humides de 2001 à 2022, ce qui représente 1.1% de la perte de la couverture arborée au cours de la même période, la RDC a perdu, quant à elle,  a perdu 6.33 millions d’hectares de forêts primaires humides, ce qui représente 35% de la perte de la couverture arborée au cours de la même période. La superficie totale de forêts primaires humides au Burundi et en RDC a diminué respectivement de 1.4% et 6.1% au cours de cette période.

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Ces pertes de couverts forestiers correspondent donc à la destruction des habitats d’animaux. Ce qui fait partie des facteurs de la disparition et de la diminution d’animaux sauvages et d’autres écosystèmes. Selon le chercheur Nzigidahera, le Burundi a déjà enregistré plus de 10 espèces d’animaux disparues depuis la fin des années 1950. 

En 1985, Curry – Lindahl mentionnait la présence de 200 éléphants. A l’heure actuelle, il ne subsiste aucun éléphant. Le dernier éléphant a été exterminé en décembre 2002 dans le Parc National de la Rusizi.

La disparition des espèces fauniques n’est pas sans conséquence.

«Les recherches ont montré par exemple que la levée de la dormance des semences de l’espèce endémique « d’Hyphaene » communément appelé faux palmier devrait passer dans l’intestin de l’éléphant. Mais, comme les éléphants ont disparu, la régénération de cette espèce se fait d’une façon vraiment lente à tel point qu’elle est en voie de disparition »” révèle Berchmans Hatungimana, directeur de l’OBPE.

En plus, les champs agricoles  dans le parc de la Rusizi fragilisent les berges de la Rusizi prenant sa source dans le lac Kivu. Cette rivière Rusizi traverse trois pays de l’Afrique centrale, dont la RDC,  le Rwanda et le Burundi avant de se jeter dans le lac Tanganyika.

Aux bords de la rivière Rusizi du secteur Palmeraie (Burundi), les champs agricoles de maïs, de riz, de choux, etc. fourmillent. Ces champs touchent à la rivière. Les agriculteurs ne laissent aucun intervalle entre leurs champs et la rivière  tel qu’exigé par la loi. “Nous cultivons aux bords de la rivière Rusizi, car nous accédons facilement à l’eau pour arroser nos cultures” se justifie Agnès Irakoze, agricultrice.

Ainsi, pour irriguer les cultures, les agriculteurs creusent des puits sous le sol au bord de la rivière Rusizi et l’eau monte. “Nous commençons alors à puiser de l’eau dans ces puits avec des arrosoirs” explique Ryarambabaje Philippe, agriculteur que nous avons rencontré aux bords de la Rusizi, sarclant les champs de Maïs. Néanmoins, ces puits rendent les bords de la rivière Rusizi mous et sont à l’origine de leur effondrement. Le code forestier prévoit pourtant la zone tampon de cent mètres (100m) entre la rivière et les champs dans la partie qui touche le parc, indique Pacifique Ininahazwe, responsable du parc national de la Rusizi.

Cette zone tampon devrait être réservée pour servir de corridor pour les hippopotames lorsqu’ils quittent une zone vers l’autre ou lorsqu’ils quittent la rivière  pour aller brouter les herbes qui se trouve à proximité de Rusizi” déclare le responsable du Parc de la Rusizi.

Néanmoins, cette zone tampon ne reste que sur papier, avoue Pacifique Ininahazwe. Quand on va sur terrain, c’est une autre réalité parce que toute cette partie est actuellement occupée par les champs de riz, de maïs, etc. 

Et lors que les animaux qui sortent des eaux ne trouvent pas de quoi se remplir le bide, ils ravagent les cultures des particuliers, indique le responsable du parc de Rusizi. Les hippopotames vont même au-delà des 100 m parce que les agriculteurs ont défriché les herbes qui servent de nourriture pour ces troupeaux. Ainsi, les conflits entre homme et faune s’emplifie.

Et quand la démographie s’en mêle 

« Je suis né dans une fratrie de 10 enfants. Nous avons trois petits lopins de terre. Après avoir partagé la propriété foncière laissée par nos parents, personne n’a hérité un lopin de terre où on peut semer trois kilogrammes (3 Kg) de haricot», nous a confié Kamariza Emelyne lorsque nous l’avons rencontré à Nyarurambi, en commune Gatara et province Kayanza,  au Nord du Burundi. 

Gatara fait partie des communes les plus densément peuplées au Burundi. Selon Ndikubwimana Donatien, conseiller chargé de questions politiques, administratives, juridiques et sociales de la commune Gatara , la densité de la population, en commune Gatara, s’élève à 847 habitants au km² alors que la densité moyenne nationale s’élève à      310 hab./km²

Et face à ces défis, le partage des exploitations agricoles familiales est souvent objet de conflits entre les membres de la famille.

« Notre exploitation familiale est mal partagée, car je suis pauvre.  Notre père était polygame et a épousé deux femmes. Je suis né de la première femme. Mes frères et sœurs de la première femme sont tous morts. Ceux de la deuxième femme ont survécu. Après avoir partagé notre héritage, la grande partie de la terre est revenue aux enfants nés de la deuxième femme. Vous comprenez qu’il y a eu de l’injustice,», nous raconte Ngendabanyikwa Venant, agriculteur que nous avons croisé à Muhingira, en zone et commune Gatara.

Si les moyens financiers s’améliorent, Ngendabanyikwa compte saisir encore la justice.

Les conflits fonciers poussent la population de kayanza à passer une grande partie de leur temps derrière la justice, indique Ndikumana Vianney, chef du cabinet du gouverneur de la province Kayanza. Parfois, ce lopin de terre qui fait objet de conflit est très exigu et ne peut rapporter grand-chose, constate-t-il. 

Les relations sociales sont tendues entre les membres de familles à tel point qu’ils s’accusent de sorcellerie lorsque l’un d’entre eux tombe malade, argüe Ngendabanyikwa Venant.

Pour Hakizimana Sylvestre, agriculteur habitant à Nyarurambi, la situation est encore tolérable à l’heure actuelle. Vu la recrudescence des mariages qui ont lieu chaque semaine,  il faut attendre et voir ce qui va se passer dans les dix prochaines années, prédit-il.      

A l’heure actuelle, la famine conduit certaines personnes qui n’ont pas des champs à voler dans les champs agricoles des autres.

«Nous ne passons presqu’ aucun jour sans résoudre les différends liés au vol dans les champs. » affirme Sixte Ndayizeye, chef de la colline Nyarurambi. 

Avant d’ajouter : “Parfois, le dépassement des limites des terres peut s’empirer à tel enseigne que la population se bat à coups de poings et de machettes.

Depuis l’instauration du conseil des notables, il y a environ une année, nous avons reçu 47 conflits, indique Nyabenda Gordien, un des notables de la colline Nyarurambi. Cependant, plus de 30 conflits sont liés au litige foncier, explique Nyabenda Gordien.  

Selon Ndikumana Vianney, chef du cabinet du gouverneur de la Province Kayanza, l’exiguïté des terres est source de conflits entre parents et enfants. « Nous avons déjà vu des cas où les enfants demandent à leurs parents pourquoi ils les ont mis au monde. Imaginez en tant que parent si un enfant te pose cette question. C’est honteux».

Dans d’autres cas, les enfants battent leurs parents et arrivent au stade où ils peuvent les tuer, car il se dit que son parent est égoïste. Il n’a pas préparé son avenir.

Selon le professeur Aloys Ndayisenga, géographe de formation et enseignant à l’Université du Burundi,: «  les burundais sont très attachés à la terre et à l’enfant. Ce comportement s’observe même parmi ceux qui ont fait de longues études. Et ça date de très longtemps.”

Traditionnellement, l’enfant était considéré comme une richesse, un prestige social pour les parents et une protection contre les vieux jours. Avoir beaucoup d’enfants signifiait avoir une main d’œuvre gratuite pour l’agriculture, explique le chercheur.  Cette mentalité n’a pas changé, constate cet expert.

La transmission des terres de père en fils  a été à l’origine de morcellement des terres depuis plusieurs décennies. Actuellement, les familles font face à l’exiguïté des terres, atteste cet expert.

L’exiguïté des terres a engendré des conséquences multiples dont la misère généralisée, la famine, le chômage, la réduction de la production agricole, la surexploitation des terres et leur appauvrissement, analyse cet expert.  

Cela a également été  à l’origine des conflits liés à la terre. Si on va aux tribunaux burundais, on trouve que les conflits fonciers sont de loin les plus nombreux, conclut-il.  

Selon le rapport annuaire statistiques du Burundi publié en Mars 2023 par l’Institut National des Statistiques du Burundi, sur 18 892 litiges  reçus en 2017, 15 237 sont des litiges fonciers, soit 80, 65 %.  

Toujours selon INSBU, ces litiges fonciers ont triplé  en quatre ans : ils sont passés de 5 307 litiges fonciers en 2013 à 15 237 litiges fonciers en 2017.

Migrer vers les forêts vierges n’est plus  la solution

Comme au Burundi, en RDC, surtout au Nord-Kivu,  les conflits fonciers dus à la croissance de la population se posent. 

Le chercheur congolais  Paul Vikanza, spécialiste en environnement et développement des populations note que la démographie est galopante dans les territoires environnant le parc des Virunga, notamment dans les régions montagneuses de Lubero, devenant un danger.  Dans cette région faite des terres dénudées par la culture et exposé à l’érosion, faute de jachère, des paysans sont aujourd’hui condamnés à pratiquer des techniques culturales  rudimentaires faites des labours répétés sans amendements des sols.

Dans certaines agglomérations  rurales de plus de 50 mille habitants comme Kyondo;  “aujourd’hui, celui qui a un grand champ, réalise difficilement deux parcelles.”, témoigne l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon.  “C’est ces deux parcelles qu’il  subdivise pour planter ici les choux, là les oignons, ou la pomme terre,…Et la production devient insuffisante”, complète  madame Kavira Kavalami Marie José,  directrice du  CMDL-Kyondo.

Dans la coutume des peuples  de la région majoritairement de la tribu Nande/Yira, une famille nucléaire a en moyenne 6 enfants comme le mentionne l’UNICEF. Pourtant la terre, cet héritage qui se transmet du père au fils, petit-fils, se fait de plus en plus rare.

« Aujourd’hui,  vu le nombre d’enfants dans une famille, on peut subdiviser une parcelle de 25 mètres en trois portions pour trois fils. C’est compliqué. Ici nous avons deux activités. L’agriculture et l’élevage. La terre est devenue très rare.  Il y a une surpopulation  dans notre agglomération. », explique  Kasereka Kataliko Charles, Secrétaire administratif de la commune rurale LUUTU. 

Obligés à migrer!

Face à cette insuffisance des terres à cultiver, les habitants de Lubero migrent vers le parc des Virunga ou d’autres régions à forte présence des forêts vierges. Paluku Musunzu Evary est l’un de ces cultivateurs qui ont été contraints de quitter le territoire de Lubero à la recherche des nouvelles terres arables dans le parc des Virunga, dans la région de Beni.

«Je me suis retrouvé ici en fuyant les problèmes dans ma famille. Parce que nous nous disputions un champ. Quand j’arrive ici, je trouve qu’il y a de l’espace et que l’on peut faire ce que l’on  veut. L’on peut prendre autant que l’on veut d’espace de champ  sans que l’on vous dise que ça  c’est un champ du grand-père ou de tel. On commence une nouvelle vie », se remémore-t-il allègrement.  Parti seul, il y a  vécu six ans avant que son épouse le rejoigne avec son enfant.

 Kanyere Amande Des Anges, enseignante à l’école primaire Chamboko et  agricultrice  ayant des champs à Aveyi, Potobu, Maleki, des villages situés à une dizaine de km de la commune  rurale d’Oicha (Beni, Nord-Kivu),  s’est retrouvé dans la région suite aux mêmes circonstances. « A Masereka, nous n’avions plus  assez de champs puisque la famille était devenue nombreuse et cela entraînait des conflits du genre l’aîné de la lignée impose que ce soit ses enfants qui prennent les champs de la famille. Alors, on nous disait qu’ici (Oicha)  on pouvait avoir des champs,  cultiver et récolter tout ce que l’on veut. Nous sommes venus. Nous avons eu des champs», se réjouis-t-elle. 

Ces nouveaux arrivants ouvrent des nouveaux champs et seule la guerre en cours contre les rebelles terroristes des Forces démocratiques alliées (ADF) dans la région de Beni (Nord-Kivu) et Irumu (Ituri) les empêche à aller plus loin dans la forêt infectée par des miliciens. Et quand certains tentent de regagner leur Lubero natal, le malheur s’accentue. Car même les petits lopins de terre qu’ils ont abandonné, ils ne les retrouvent plus.   “ Là, aujourd’hui, il y a l’insécurité. La population qui s’était déplacée d’ici jusque-là maintenant retourne  ici et  ces gens deviennent des déplacés de guerre dans leurs propres villages. Et ceux dont les portions de terre étaient déjà occupés par leurs frères, en voulant les récupérer, cela crée des conflits entre eux.”, se désole Kasereka Kataliko Charles, Secrétaire administratif de la commune rurale Luotu.

Changement climatique

Selon l’Institut National des Statistiques du Burundi, plus de 80% des burundais sont des agriculteurs et comptent sur les précipitations pour cultiver et produire. Néanmoins, la pluie est tantôt abondante, tantôt rare : « Par le passé, il pleuvait à temps, lors du jour de l’assomption. La saison culturale A dit « Agatasi » débutait en septembre pour prendre fin en Février tandis que la saison culturale B dit « Impeshi » démarrait en Février et se terminait en juin » déclare NDIKUMANA Sylvie, agricultrice.

Les choses ont changé : « Par exemple, pendant l’année culturale 2022-2023, la pluie est tombée tardivement entre la fin de novembre et le début de décembre et a pris fin vers la fin du mois d’avril. Pire encore, nous avons fait face aux pluies diluviennes mêlées des vents violents. La grêle a enfoncé le clou dans le marteau en détruisant nos cultures.» s’indigne-t-elle. 

Pendant ces dix dernières années, on relève tantôt une baisse, tantôt l’irrégularité des précipitations à travers le Burundi. Selon le rapport de l’Institut National des Statistiques du Burundi publié en Mars 2023, les précipitations à la station météorologique de Imbo, située à l’ouest du Burundi sont passées de 94,3 mm en 2011 à 66,3 mm en 2021.

Alors que la pluie diminue ou est irrégulière, la température monte et détruit également les cultures. Selon le rapport de l’INSBU publié en Mars 2023, la température à la station météorologique de Imbo est passée de  29,8 °C en 2011 à  31,7°C

Également , une étude  de la pluviométrie de la région menée sur une période de 50 ans  par le Professeur  Sahani Walere,  chercheur en gestion des catastrophes naturelles à l’Université catholique du Graben (UCG-Butembo),  montre que dans la région de Butembo (Nord-Kivu), il y a une diminution du nombre des pluies mensuelles.

“Il y a déjà eu des perturbations très sensibles pendant la petite saison pluvieuse. C’est-à-dire, on a perdu en termes d’amplitude et en termes de longueur des pluies 25% en 50 ans ; ce qui est une catastrophe en gestion des risques naturels. Et ça se remarque durant la petite saison pluvieuse, les agriculteurs en milieu urbain sont complètement déboussolés par rapport aux activités à mener », explique le professeur Sahani Walere.

Muser sur nos traditions, la loi et les innovations pour mieux gérer nos terres

« Pour résoudre le problème des champs, ce que nous pouvons demander à notre Etat est de voir comment les familles vivaient avant. Nous avons perdu la dignité humaine. Aujourd’hui, celui qui a l’argent parvient à s’emparer d’un bien commun alors que tout le monde connait la vraie vérité.  Et ils vous disent que la loi foncière n’est pas ainsi parce qu’ils suivent les lois des blancs. Pourtant, nous vivions dans nos villages tout en sachant chacun sa part de terre qui lui donne droit de cité. Il faut que les problèmes de terre soient résolus par la coutume. »,  insiste notre interlocuteur à Oicha, Paluku Musunzu Evary.

« Les conflits fonciers commencent maintenant quand les patriarches (vieux sages du village) viennent  tous de mourir. Quand ils étaient là, il n’y avait aucun conflit de terre.  C’est une grosse erreur de se battre pour les champs.  Les champs sont très traditionnels. Ce n’est pas bien de se battre pour ça »,  insiste Kahindo Malime, 82 ans, un conservateur de la tradition  rencontré à Luutu.

En RDC, la crise des champs agricoles familiaux qui s’observe avec cruauté principalement dans le territoire de Lubero est due à   un problème de la planification des terres.  Il y a  eu un manque des prévoyances dans l’étude des paramètres sociaux économiques de la zone explique Katembo Juhudi Duparc, géomaticien de l’Institut de Recherche Intégrée de l’Université Chrétienne Bilingue au Congo IRIN/ UCBC.  Heureusement, une loi sur l’aménagement du territoire en cours d’examen au parlement congolais pour aider à résoudre le problème.

 «  Au niveau national, il y avait un vide juridique. Heureusement, le pays vient de se doter d’une politique  nationale d’aménagement du territoire et d’une loi votée.  Avec ces outils, les provinces vont se doter des plans provinciaux d’aménagement du territoire et d’interventions foncières », se réjouit-il. Car ce travail est en cours en province du Nord-Kivu.  Un travail que l’UCBC réalise en partenariat avec la Coordination Provinciale de la Commission nationale de la réforme foncière.

Ce qui permettra de mettre en place  des modèles de gestion intégrée des territoires, explique  Msc Shukuru Kyowero, enseignant au département des eaux et forêts à l’Université Catholique du Graben (UCG).

« Il faut des modèles des gestions intégrés des terroirs avec une agriculture intégrée où on applique la rotation des cultures, de la sylviculture et de l’élevage», encourage-til.

Mais en RDC, il faudra également combattre le phénomène de «latifoundisation» des terres par des richissimes hommes d’affaires qui s’accaparent des vastes étendues des terres sans  bien les exploiter dénonce Muyisa Wasukundi Sorel,  doctorat en cotutelle à l’école régionale d’aménagement  des forets des territoires tropicaux ERAIFT Kinshasa et  à l’Université de Liège en Belgique.

 «  La latifundisation des terres. C’est-à-dire,  il y a des riches qui s’emparent des vastes étendus des terres  dans certaines zones et laissent à coté  une masse des paysans sans terres.  Si on peut arriver à  conscientiser ces propriétaires terriens qui d’ailleurs n’exploitent pas adéquatement leurs vastes étendus des terres, ça serait intéressant.  Ils peuvent faire valoir leurs terrains à travers ces paysans sans terre à travers une gestion intégrée du territoire», recommande Muyisa Wasukundi Sorel,  doctorant à l’Ecole régionale d’aménagement  des forets et des territoires tropicaux (ERAIFT).



Monde/ Géopolitique : ce que représentent les BRICS et l’attitude que devait prendre la RDC (Séraphin Baharanyi)

Aujourd’hui  plus que jamais,  certains pays émergents veulent mettre fin à l’hégémonie américaine dans le commerce mondial établie depuis la seconde guerre mondiale.  

Comme à l’époque coloniale, durant la seconde guerre mondiale et maintenant, la RDC possède les ressources qui peuvent faire basculer le rapport des forces des puissances mondiales. Que doit faire la RDC pour devenir enfin un joueur et non seulement le maillon faible dans cette transition que veulent les BRICS ? 

C’est autour de cette question qu’une délégation des Jésuites conduite par monsieur Séraphin Baharanyi, a échangé avec les étudiants de l’Université Catholique du Graben le samedi 12 Août 2023. 

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’ à présent, les USA  soutenus par les pays de l’OTAN, dirigent le monde. Même si au conseil de sécurité des Nations Unis cinq pays ont le droit de veto, en vrai la chine et la Russie restent marginalisées. 

Car les USA ont un deal avec la grande Bretagne et la France pour garder la main basse sur les institutions majeures comme la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International au mépris des règles établies.

 Aujourd’hui, les pays du BRICS veulent casser la domination américaine établie unilatéralement en 1971 en déconnectant le dollar de l’or. Ce qui revient à se poser la question de savoir qu’elle sera encore la place de la RDC dans cette géopolitique.  Monsieur Séraphin Baharanyi, conseiller  de madame le gouverneur de la Banque Centrale du Congo souligne que : 

« Notre pays est au centre des  beaucoup de turbulences dans le cadre de la géopolitique. Tous ces conflits que vous voyez aujourd’hui. Ça peut-être le conflit en Ukraine, au Mali, au Niger, le Rwanda contre la RDC à travers la milice rwandaise M23,… Tous ces conflits cachent un enjeu géopolitique. 

Le multilatéralisme issu de YALTA est en train de montrer ses limites. Ce qui se traduit par les soubresauts que nous sommes en train de suivre. De cette configuration, le monde aujourd’hui est dominé par les USA et l’OTAN. », éxplique le doctorant  Séraphin Baharanyi. 

Cette configuration traduisait le rapport de forces issues de la deuxième guerre mondiale.

Les pays qui se disent, aujourd’hui, les Etats-Unis nous ont étouffés, nous devons respirer. Il s’agit du Brésil, Russie, Inde, la Chine et l’Afrique du Sud désirent un autre  rapport des forces. 

« Les 5 pays qui aujourd’hui, leurs PIB mis ensembles dépassent celui des pays de l’OTAN.  En termes de richesses, ils se disent plus riches mais pourquoi ces gens-là peuvent continuer à les contrôler ? Les BRIC veulent revenir en 1971 en rétablissant une monnaie de commerce international qui a une monnaie fixe en parité avec l’or.

 Et comme vous avez (RDC) beaucoup d’or ceux qui sont intelligents viennent s’en procurer pour leurs réserves.  Quand les indiens, ou les autres, qui donnent un contingent militaire pour aller à Bunia ou ici au Nord-Kivu, derrière ça, ils prennent de l’or  pour leurs réserves car ce sera un enjeu international dans les années qui arrivent. 

Si vous regardez les cours de l’or, il est en constante augmentation ces dix dernières années. Les gens se font des réserves pour pouvoir commercer librement. », fait-il observer.  

Il suggère que la RDC puisse être plus prudente que dans le passé en ne privilégiant aucune partie.

« A mon avis, la RDC  ne doit pas se pencher d’un côté. Elle doit coopérer avec toutes les parties  pour tirer sa part du jeu. Car maintenant, il y a certaines œuvres dont la réalisation montre que personne ne peut le faire seul. Il faut des montages financiers, chacun apportant son expertise pour le faire comme c’est le cas du projet INGA III. »   

Pour preuve, les autres concoctent des plans depuis  très longtemps : 

« Quand nous menions nos recherches, nous avions vu une décision du congrès américain de 1954 qui déclare que les réserves du coltan de la RDC constituent  une matière première stratégique pour les USA autant que l’Uranium qui avait fabriqué les bombes tirées au Japon issu du Katanga. »

Monsieur Séraphin,  rappelle à la jeunesse que les relations entre Etats n’ont rien de philanthropie. Il s’agit seulement d’une question de rapport des forces pour les intérêts de chaque Etat. 

Si jamais la jeunesse estudiantine, censée diriger le pays demain, ne comprend pas ; nous resterons à la merci des autres malgré nos immenses richesses sur papier.  

Hervé Mukulu


RDC foret : ces produits forestiers encore non cultivables comment les préserver ?

 Dans cette série des reportages dédiés aux produits forestiers non ligneux, la dernière partie que voici est consacrée aux solutions que certains acteurs sociaux, scientifiques et politiques proposent pour la pérennisation de ces produits tant aimés et utiles aux peuples du bassin du Congo.

Reportage collaboratif réalisé par Hervé Mukulu, Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Furahisha Jacques et Jackson Sivulyamwenge avec l’appui de Rainforest Congo Bassin/ Pulitzer center reporting on crisis. 

Le leader pygmée Alinga Jean-Pierre Teto regrette d’abord le fait que les propriétaires de la forêt, les pygmées, ne vivent plus dans leur milieu naturel. Ce qui fait qu’ils n’ont plus accès aux produits forestiers qui pourtant garantissaient leurs vécus quotidien.  «La première cause de cette rareté même de magungu est la guerre ; mais aussi la déforestation fait disparaître ces produits. La population coupe les lianes de Mbili, les arbustes de kadika,  de ngongolio,… Nous n’y avons plus accès depuis le début de la guerre.», déplore-t-il. 

La faute, c’est aux nouveaux  produits pour nourrir les centres urbains car « Ils y mettent des nouveaux produits comme le manioc, la banane,  et coupent les arbres pour avoir le bois de chauffe.  On se rend compte de la crainte de leur disparition quand on les manque. Et c’est ce qui rend minable le pygmée. S’il vivait dans sa forêt, on ne l’accuserait pas de voleur et d’autres maux. Ça nous rend triste. », déplore-t-il.

Cantonnés dans les centres urbains, dans des camps de refuge, comme à Oïcha,  et sans assistance, ignorants plusieurs métiers urbains, les pygmées sont parfois réduits au vol des produits champêtres des bantous pour survivre. Ce qui crée des tensions énormes et une mauvaise réputation de voleur et paresseux pour les pygmées en milieu urbain. Autrement, les femmes pygmées mendient.

 La coupe incontrôlée du bois par les exploitants tant industriels qu’artisanaux, mais aussi l’agriculture itinérante sur brûlis, sont indexées par le Chef de Travaux  Ruffin Mbuse, Ingénieur forestier et titulaire d’un master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement Forestier Durable  dans la faculté des Sciences à l’Université de Kisangani: « Le modèle agricole utilisé actuellement, l’agriculture sur brûlis, c’est un mode qui dévaste pas mal d’écosystèmes forestiers. Les espaces occupés par les cultures connaissent des mutations très sévères du point de vue de la biodiversité tant animale que végétale.  Il y a de ces semences qui ne résistent pas au feu. Elles reculent. A  force d’exploiter les sols agricoles, les semences forestières atteindront un certain moment le point d’extinction. Raison pour laquelle, il y a de ces espèces qui ne se font plus voir. » 

Une autre dimension importante est évoquée par le Professeur Alphonse Maindo, directeur de l’ONG Tropenbos RDC. « D’abord, il y a l’action de l’homme sur la faune et la flore. Sur la faune, lorsque nous chassons les gibiers, nous les abattons de manière presque sauvage pour notre alimentation. Nous réduisons, par la même occasion, la possibilité de certaines plantes, y compris les arbres, de se régénérer naturellement. Car certains animaux sauvages (mammifères, oiseaux,…)  sont des agents de dissémination et d’ensemencement de certaines espèces de plantes.   Quand ils disparaissent, ils disparaissent donc avec ces plantes-là. », fait-il remarquer. 

En plus des travaux agricoles, il y a les aménagements routiers et autres infrastructures. « Nous qui sommes nés à Kisangani, on avait des fruits sauvages autour de la ville. On allait cueillir des fruits dans des endroits qui  sont devenus des quartiers.», se remémore-t-il.

 Ceci est renforcé par la culture des peuples qui n’ont pas la dimension de la conservation du moment qu’ils en ont en abondance.

 « Entre les peuples forestiers et la forêt, il y a une relation à plus d’une dimension : économique, alimentaire, sanitaire et culturel. Selon ma petite expérience, les peuples forestiers n’ont pas la notion de conservation. S’il s’agit de couper une plante, ils coupent sans tenir compte de sa durabilité », soutient l’Ir Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemi. 

« Les peuples forestiers vivent dans cette conception que si je ramasse aujourd’hui, il n’y a pas de raison que je ne ramasse pas demain. Il y en aura toujours. Ç’a été, c’est et ce sera. Donc ça n’en vaut pas la peine. C’est pourquoi nous avons du mal à conscientiser les gens à reboiser.  Car pour eux ça pousse tout seul. Tu manges un fruit et tu jettes les graines et le lendemain ça pousse tout seul.  Malheureusement, aujourd’hui, nous sommes en train de perdre tout ça en détruisant la forêt et je crains que les générations futures ne puissent voir ce que nous avons eu, nous, la chance de voir et de voir ça seulement dans les livres de botanique et autres simplement », s’inquiète le  Professeur Maindo.

Le peuple forestier vit dans un environnement où tout doit provenir de son écosystème naturel qui est la forêt. Ce qui n’est pas le cas avec la densité des agglomérations, même en forêt. Beaucoup de plantes consommées actuellement sont exotiques. Le cas des maniocs, orangers,… qui viennent d’autres continents, alors que les ancêtres dépendaient des plantes qui poussaient à l’état sauvage. L’arrivée des nouvelles plantes pousse vers la disparition des anciennes plantes. Ce que regrette le pygmée Alinga Jean-Pierre Peto.

 « Depuis nos ancêtres qui ont vécu complètement en forêt, il existe beaucoup de produits qui protègent le pygmée. Comme Aduaka, c’est notre manioc sauvage. Mambili, c’est de l’arachide sauvage que l’on ajoutait dans le sombé. Mambili, c’est l’huile dont les femmes se servaient aussi  pour griller de la viande au retour des hommes de la chasse avec le gibier.  Avant une sortie en cité pour venir visiter les frères bantous, après le bain, on s’en servait comme lotion et ça nous rendait très propre. », se rappelle le leader Peto qui se reconnaît déjà civilisé avec un peu de tristesse. 

Il sied de signaler tout de même que les fruits sauvages sont protégés selon différentes coutumes.  Pour certains, il faut respecter les rituels. « Pour  récolter, il m’est interdit de monter dans cet arbre. Sinon toute ma famille va mourir. Je dois attendre que les fruits tombent d’eux-mêmes pour que je vienne les récolter par terre », nous explique notre hôte dans la forêt de Mambasa.

Nous devons nous mettre à restaurer les forêts, mais nous pouvons aussi faire un travail de domestication. « Car toutes les espèces végétales peuvent être domestiquées. Il y a des gens qui ont déjà domestiqué le fumbwa. Dans beaucoup de pays, on en fait des plantations. Ainsi, on peut domestiquer aussi les autres », témoigne le Professeur Maindo.  

Des recherches scientifiques sont menées, mais les techniques utilisées ne peuvent être calquées en milieu rural  jusque-là, vu le niveau intellectuel et le coût financier. « C’est ainsi que, scientifiquement, plusieurs travaux se limitent à l’identification et à évaluer l’ampleur de leur extinction. », déplore le Chef de Travaux Ruphin Mbussie.

En matière de régulation, le code forestier est la loi qui impulse les directives. Les textes d’application devraient suivre afin de garantir le suivi de tout ce qui est de la pérennisation des filières. L’Etat ne pouvant pas tout faire, les organisations, comme le WWF est une porte d’entrée pour accompagner l’organisation de ces filières porteuses des PFNL, suggère Inoussa Njumboket, point focal forêt WWF-RDC.

Depuis l’avènement de la foresterie communautaire en RDC, nous assistons à un regain d’intérêt pour les produits forestiers non ligneux, PFNL. Plusieurs initiatives locales sont menées pour aider les communautés à rendre viable économiquement leurs forêts. Car on ne peut pas gérer ce que l’on ne connaît pas.

« Actuellement, il se mène des travaux d’inventaire. Nous n’avons pas suffisamment de chiffres exacts pour étayer le fait que ces espèces pourraient disparaître d’un moment à un autre, mais nous comprenons qu’il y a actuellement une rareté dans certaines communautés. Car ceux qui les prélèvent vont jusqu’à les déraciner. Des pratiques qui ne sont pas durables. », reconnaît Inoussa Njumboket.

De plus en plus,  ceux qui vivent dans les villages environnant la forêt, prennent conscience. « Je récolte les fruits et je laisse l’arbre pour en profiter à la prochaine saison », explique un habitant de Kabubili, village situé à 31 km de la ville de Kalemie sur l’axe Kabimba, dans la province du Tanganyika. 

« Nous vivons de ces fruits et sa protection reste capitale, car ils profiteront même à nos enfants. Que ceux qui en ont dans leurs champs ne les coupent pas.», a affirmé Maman Jeanne, une vendeuse de fruits, rencontrée à Pungwe, un village situé à 22 km de la ville de Kalemie, sur l’axe routier menant vers Lubumbashi.

Ce sont les qui rendent ces peuples forestiers de plus en plus conscients, «  car ils commencent à réaliser des grandes distances pour avoir les fruits, les insectes qu’ils trouvaient encore dans leur environnement immédiat de leurs villages, il y a quelques année.  L’important est le renforcement de l’éducation en protection des forêts. Comme l’intérêt n’est pas que local, avec tout ce que nous offre la forêt pour la lutte contre le changement climatique et la conservation de la biodiversité, on ne doit pas baisser les bras », insiste l’Ingénieure Deborah Waluvera, titulaire d’un Master en Gestion de la Biodiversité et Aménagement forestier durable à l’Université de Kisangani, dans le programme CIFOR-UNIKIS et  enseignante au sein de la faculté des Sciences Agronomiques de l’Université Catholique du Graben à Butembo.

Pour les pygmées, la solution reste leur réappropriation de la forêt ainsi que tout ce qui croît naturellement.

« Nous le répétons dans les médias que le pygmée a le droit d’aller récolter ses ngongolio même si c’est dans le champ d’autrui. C’est à lui de décider de te laisser une partie ou pas. C’est son droit naturel. Puisque pour la domestication, le ngongolio, par exemple,  on peut le planter, mais il ne produira des fruits que très tard, quand vous ne serez plus de ce monde. », explique Peto.

Il n’existe pas non plus de mécanisme approprié pour la gestion des fruits sauvages, reconnaît Paul Senga, coordonnateur provincial du service de l’environnement en province du Tanganyika, avec 27 ans de service.  

Naturellement, tous les fruits n’ont pas la même périodicité en termes de maturation. Il y en a que l’on peut trouver en maturation en pleine saison sèche, et ceux qu’on peut trouver en saison de pluie, explique-t-il. Néanmoins, il y a une protection indirecte, «  Lorsque nous délivrons les permis de coupe de bois, nous prenons soin de signaler les espèces qui doivent être protégées, dont certains arbres fruitiers. Ne peut être autorisé à couper par exemple le  pafsa, le mabunge, c’est formellement interdit. », nous éclaircit-t-il dans son bureau.

Car le défis est grand et demande une conscience de tous. « Nous avons des agents  de l’environnement, mais ils ne sont pas là pour les fruits sauvages. Prenons un territoire comme Moba avec 24 milles km carrés, les agents ne peuvent être partout. Le phénomène de feu de brousse montre que ce n’est pas qu’un problème des agents de l’environnement. Avec 33 agents, on ne peut pas contrôler un territoire aussi vaste  que celui de Manona avec 34 mille km carrés. », illustre-t-il pour démontrer que c’est l’affaire de tout le monde qui doit prendre conscience de l’importance des fruits sauvages parce que ça  contribue à la santé de tous et chacun. 


RDC : Comment préserver la forêt ? (Partie I)

Partie I : Aphrodisiaques, médicinales, nutritifs et pas que…

« Plus de 95% de consommateurs sont des hommes, quasi-adultes », nous confie une dame d’une vingtaine d’années, vendeuse du thé à base de Tangawisi mélangé au ngbako et ngongolio, au rond-point Ouagadougou dans le quartier Kindya en ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, située au Nord-Est de la RDC.

Irvinga Gabonesis, appelé communément « Esele » dans la province de l’Ituri. © Picard Luhavo

Pour elle, la raison de la masculinité de sa clientèle est claire : « Mes clients sont uniquement des hommes car elle donne la force masculine (sexuelle, NdlR) et élimine la fatigue ». Des vertus aphrodisiaques que les rares femmes, qui en consomment dans les endroits publics, n’admettent tout de même pas. « J’en prends, mon mari en prend, mais ce n’est pas pour la force au lit. Dieu a donné naturellement la force à mon mari. Moi j’en prends pour lutter contre plusieurs maladies et la fatigue aux hanches », explique une marchande qui en consomme dans un point de vente à Oïcha. Autour d’elle, les hommes qui en consomment nient aussi qu’ils en prennent pour les vertus sexuelles. « Ça rend seulement le corps en bonne santé », disent-ils dubitativement, un peu comme gênés.

En fait, nous sommes dans une société dans laquelle tout ce qui a trait au sexe est tabou. Bien plus, aucun homme ne peut avouer qu’il a des insuffisances au lit et qu’il lui faut un turbo, de temps en temps.  C’est déshonorant de sa part.

Pourtant, les vendeuses et cueilleurs sont unanimes. Les vertus sexuelles, c’est ce qui fait vendre ces produits. Une des vendeuses de ces produits sur étalage au marché central de Bunia nous explique les différents produits préférés par les hommes pour leurs vertus sexuelles : «Les jeunes garçons viennent chercher Akoro, cette poussière ici »,  dit-elle en montrant des petites boules de poussière dans un sachet. « Puis ils viennent chercher ce kitamaka », ajoute-t-elle en montrant des morceaux de tige séchés. « Ensuite, ce mundongo »,  poursuit-elle en montrant des écorces séchées et enfin « ils viennent chercher ce murondo », achève-t-elle en montrant des racines  qui sont d’une apparence un peu cartilagineuse. Particulièrement, les  hommes mûrs, plus de la quarantaine, « ils viennent chercher le Kitamaka, le kadika  et le ngongolio », ajoute-t-elle.

Les deux derniers sont des noix très amères. Néanmoins, la noix de Ngongolio, d’une écorce noire et rouge de l’intérieur,  est plus de deux fois  volumineux que le kadika et comporte plusieurs parties, alors que le kadika est plus ou moins compact, avec une couleur grisâtre à l’intérieur.    

En province de l’Ituri, Territoire de Mambasa, chefferie de Mambasa, village Tobola dans la localité de Magbalu, à  170 kilomètres au Sud de la ville de Bunia,  nous avons croisé  monsieur Amboko, un pygmée, dont le  travail est la récolte de ces fruits de la forêt. Il explique que certains ont ce pouvoir sexuel avéré comme cet arbuste qu’il tient à la main : « Timba, si vos veines ne se lèvent pas  quand vous êtes avec une femme, mangez les écorces de ça. On coupe et mange les écorces. »

Par ailleurs, monsieur Alinga Jean-Pierre Teto est un leader Pygmée travaillant pour le Programme d’Assistance aux Pygmées, une ONG qui fait la défense des droits des peuples autochtones dans la province du Nord-Kivu, PAP-RDC. Il confirme les vertus aphrodisiaques de certaines plantes, mais l’usage ne se limite pas là.

 « Si vous manquez d’enfants dans votre couple, il y a des plantes que je vous donne et vous concevez », rassure-t-il.  Ceux qui cultivent en forêts nous font perdre beaucoup de richesses comme ces produits aphrodisiaques ; « je soigne aussi les hémorroïdes, les épileptiques, même les somnambules, les fous. J’ai des plantes que j’utilise pour les immobiliser. Si votre femme accouche par césarienne, on ne va lui donner qu’une huile à enduire sur le bas-ventre et ça ne se répètera plus.  J’ai même une jeune fille que j’ai soignée, ancienne épileptique, qui vient de se marier après sa guérison.  Même chose si vous êtes empoisonné. Je soigne le poison avec mes produits naturels. J’en soigne beaucoup dans notre dispensaire des pygmées.», nous confia-t-il dans la véranda de son quartier dans la cité de Mavivi, à une vingtaine de Km de la ville de Beni.

Le ketsu une fois séché devient noir. © Picard Luhavo

L’Ingénieur Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemie,  souligne les vertus contraceptives de certaines plantes : « Il y en a que les femmes prennent après une relation sexuelle pour ne pas tomber enceinte ou attraper les IST », nous confie-il dans son bureau.  

Les peuples bantous et les pygmées échangent très peu leurs recettes médicinales traditionnelles. Néanmoins, confrontés à certaines maladies communes comme la malaria et la diarrhée, ces peuples utilisent certaines plantes communes. « Sans partager les recettes, les bantous et les pygmées utilisent principalement les mêmes plantes contre le paludisme et les faiblesses sexuelles. »,  a constaté le Professeur Eric Kasika, ethno-botaniste et enseignant à l’Université Catholique du Graben à Butembo, dans sa thèse de doctorat intitulée « Échange d’expériences d’utilisation des plantes médicinales entre peuples forestiers. Le cas des Pygmées et Bantous Nande en territoire des Beni et Lubero ».

Jusqu’aujourd’hui, une insuffisance de médecins dans les villages, la pauvreté et l’insécurité poussent les peuples forestiers à recourir plus à la phytothérapie qu’à la médecine moderne, révèle la thèse de doctorat du Professeur Eric Kasika.

Dr Kasusula Bienvenu, médecin traitant à l’hôpital de Matanda, a souligné, lors d’une conférence scientifique à l’UCG, que les deux médecines (traditionnelle et moderne) partagent beaucoup de choses en commun.

« La matière première de fabrication des produits reste la même. A partir des plantes, ses écorces, tiges ou feuilles, fleurs. On peut recourir à certains tissus d’animaux, liquides biologiques d’animaux ou d’autres êtres. Les voies d’administration entre les deux sous-secteurs restent essentiellement les mêmes. Des produits à avaler, à administrer sur la peau, à prendre par lavement ».

La différence est tout de même fondamentale. Car selon que le tradi-praticien utilise uniquement les plantes, il est phytothérapeute, psychothérapeute ou utilise l’occultisme comme dans la pratique du massage à distance. Il est qualifié de féticheur. Pour la médecine moderne, il y a plutôt des nutritionnistes, des kinésithérapeutes,…

Docteur Kasusula Bienvenu souligne que, bien que reconnue, c’est l’organisation de la filière médecine traditionnelle et de la procédure de la fabrication des médicaments qui diffère de la médecine moderne. Ce qui est normal comme réagit monsieur Freddy Nzeka, point focal de la médecine traditionnelle dans le Grand-Nord. Car malgré la reconnaissance de la médecine traditionnelle depuis 2002, elle n’est pas financée : « L’État congolais a reconnu la médecine traditionnelle, mais n’a pas pu budgétiser cette médecine pour qu’elle puisse travailler  conformément aux normes de la médecine. Ce qui crée une sorte de méfiance entre les deux car la médecine moderne est prise en charge, tandis que l’autre est abandonnée à son triste sort, au point que tout le monde taxe les tradi-praticiens de charlatans.», déplore- t-il. 

Pour profiter des vertus alimentaires de ces produits, il n’y a pas que sous forme de thé, de légumes ou noix naturels qu’il faut les consommer. Ils sont aussi dans le vin. Aux heures vespérales, près du marché central de Bunia, un des consommateurs du vin Kargasok se confie à nous : « J’en bois depuis cinq ans et je ne bois que le kargasok. Je ne prends aucun autre alcool. »

Certaines marques de vins produits en RDC dont les ingrédients principaux sont des PFNL aphrodisiaques. ©Hervé Mukulu

En ville de Butembo, tous les vins produits localement sont faits de produits forestiers aux vertus aphrodisiaques. La principale publicité de ces vins est cette qualité aphrodisiaque comme l’indique leurs noms : Vin de mariage, Vin d’ambiance, Vin Kitoko, Vin Plaisir, Vin Nguvu, Very strong,…

Bien plus, l’industrie pharmaceutique en utilise certains impérativement : « L’écorce de Pygeum africana,( un arbre connu sous le nom de Ngote dans les territoires de Beni et Lubero, NdlR), est très utilisée. Ses extraits interviennent dans la fabrication de plusieurs produits pharmaceutiques qui peuvent aller jusqu’à soigner le cancer de la prostate. Il en est de même de l’écorce du quinquina dont est extraite la quinine qui est la molécule la plus efficace contre la malaria. Le fumbwa a une valeur pharmaceutique énorme. Il est utilisé dans la fabrication de plusieurs produits. Étant une légume, ça peut se consommer régulièrement sans risque, mais il faut améliorer sa cuisson afin que la population maximise sa valeur nutritive », ajoute Inoussa Njumboket, point focal Forêt de WWF-RDC.

 Une étude menée à Gbadolite (Province de l’Equateur) en 2015 par Jean Christian Bangata B.M de l’université de  Kinshasa montre que les produits, Cola acuminata et Piper guineense,  sont utilisés pour 15 finalités dont les principales sont médicinales comme stimulants, traitement des maux de ventre, des douleurs, de reins, irritations,…

En 2005, Le Fond Mondial pour l’alimentation, FAO, estimait qu’environ 80 % de la population des pays en voie de développement utilisent les PFNL pour se soigner et se nourrir. Car 75 % des pauvres du monde vivent en milieu rural.

Le fumbwa, une légume très aimée à Kinshasa pour ses qualités nutritives. © Sarah Mangaza

Le long parcours pour les centres urbains

Pour atteindre les grandes agglomérations, certains de ces produits réalisent des parcours de titan. Quand on voit un vendeur ambulant dans les rues de Kinshasa, la capitale congolaise, ses noix et racines qu’il trimbale dans un bocal sur la tête ou les épaules viennent de très loin comme nous confie l’un d’eux : « Ça vient de l’Angola, par route, en passant par matadi, puis moi je vais en acheter au marché de Gambela. ». Et même  dans la sulfureuse Kinshasa, les gens les préfèrent pour plus d’une raison dont certaines semblent mystiques: « Ça soigne beaucoup de parties du corps. Et si vous avez manqué où se trouve votre frère dans le cimetière, vous mangerez ceci ; et vous saurez le retrouver. », nous confie-t-il en montrant une tige.  « C’est un produit ancestral que l’on ne vole pas. Si jamais vous le volez, vous aurez des malédictions. Et puis, nous qui travaillons la nuit, ça nous procure la sécurité », nous confie ce vendeur de noix de cola et autres racines avec 12 ans d’expérience dans les rues de Kinshasa, la Belle. 

Dans cette même ville dont les statistiques sont quasiment incontrôlées et pour laquelle certaines sources rapportent qu’elle compterait entre 12 et 20 millions d’habitants, une bonne partie de la population raffole d’un légume dit « Fumbwa ».

Malheureusement, c’est un légume sauvage qui ne se trouve que dans les provinces intérieures. Par absence de route, elle prend l’avion. « Je suis grossiste du fumbwa. C’est un légume qui ne se cultive pas. Si vous le cultivez, ça ne pousse pas. Il vient des provinces de l’intérieur par avion. Ce lot vient de Kananga. », nous explique une dame rencontrée dans un dépôt à chambre froide. Plus de détails nous est donné par une autre dame, dans le dépôt voisin : « Ce fumbwa dans mes mains vient de Kananga. Les gens vont les chercher à moto à l’intérieur de la province. Puis à Kananga, les camions amènent cela à l’aéroport. Ça arrive ici par avion. De l’aéroport de Ndjili, on commence à distribuer dans les dépôts de la ville. Et c’est ici que les détaillants viennent acheter. Et à partir d’ici, certains papas en exportent pour l’Angola et pour l’Europe. »

  Des chikwanges en avant et des liboke en arrière-plan. Le premier un pain fait de manioc et le second est la coupe accompagnatrice fait de poisson ou de la viande. Le point commun est qu’ils se préparent tous dans le magungu. ©Serge Sindani

D’autres feuilles comme le magungu, à Kisangani, à Kinshasa comme à Beni, sont principalement utiles pour l’emballage de la chikwangue. Ce pain congolais est fait à base de manioc. Cuits dans ces feuilles, la chikwangue a toujours une saveur exquise que l’on ne saurait comparer à ceux cuits dans les sachets ou autres emballages. On dirait que ces feuilles font partie de l’ingrédient magique, nous confie une vendeuse de Kisangani. Dans cette même ville, ces feuilles servent à préparer un plat spécial, le Liboke. Des morceaux de viande ou du poisson avec condiments que l’on fait cuire à l’intérieur des feuilles. Un goût exquis. 

Pourtant pour les vrais peuples forestiers, ces feuilles sont encore plus utiles que ça. Ils construisent des abris et servent d’ustensiles. « On les coupe et on en fait un paquet de trois, bien accrochées, une feuille à l’autre pour qu’ils servent de toiture de la hutte », explique notre hôte. « Ces maisons ne durent que trois jours et ne sont construites que par les femmes. L’homme n’en maîtrise pas la technique.», explique un habitant d’un village pygmée à Mambasa. Cette précarité d’habitat ne pose aucun problème, car leur village n’est entouré que de ces magungu.  Ces mêmes  feuilles servent d’assiette pour le repas, d’ustensile pour garder un repas au chaud et de casserole pour la cuisson. 

Un reportage de Hervé Mukulu, réalisé avec l’appui du Rainforest Journalism Fund et Pulitzer CenterRainforest Journalism Fund.  Avec la participation de Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Furahisha Jacques et Jackson Sivulyamwenge.



RDC : Comment préserver la forêt ? (Prélude)

Vivre de la cueillette, ça vous fait penser à une époque préhistorique. Pourtant, même aujourd’hui, pour avoir accès à certains produits, les peuples forestiers de la République démocratique du Congo ne peuvent se contenter que de la cueillette et du ramassage. Pour ces peuples, la forêt n’offre pas que le bois ; il y a aussi ces produits que l’on qualifie de « produits forestiers non ligneux (PFNL) », très utiles pour la vie de l’homme. Parmi les PFNL les plus prisés en RDC, on peut citer le Ngadiadia (ou kadika), la noix de Kola, la Murondo, le Ndehe, le  tonga, mabongo, bombi,le fumbwa… 

Dans les milieux urbains, ils sont appréciés pour leurs vertus nutritives, médicinales ou pour des usages particuliers. La demande devenant de plus en plus grande, ils deviennent également rares suite à de nombreux facteurs. Un danger d’extinction, à court ou à long-terme, plane vu la pression sur ces espèces en forêt. Comment prévenir cette menace de disparition ?

Un reportage de Hervé Mukulu, réalisé avec l’appui du Rainforest Journalism Fund et Pulitzer CenterRainforest Journalism Fund.  Avec la participation de Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Furahisha Jacques et Jackson Sivulyamwenge.

Ils servent de nourriture, de friandises ou de condiments ; consommés crus, infusés ou transformés. Ce sont aussi des médicaments efficaces sur lesquels s’appuient des communautés locales et peuples autochtones depuis la nuit des temps. Les Bantous les recherchent aussi pour des vertus particulières, surtout quand la médecine moderne montre ses limites. Certains sont utilisés comme récipient, d’autres pour la construction des habitats, etc. Ils ont la seule caractéristique commune : ils ne sont pas cultivables, pour l’instant du moins. Malgré le fait qu’ils deviennent de plus en plus rares car menacés par l’insécurité, l’agriculture tant familiale qu’industrielle et l’exploitation forestière, leurs premiers bénéficiaires pensent qu’ils sont éternels et ne s’en soucient presque pas. Car, pour beaucoup d’entre eux, ce sont des bénédictions divines qui poussent naturellement.

Par ailleurs, ces fruits, noix, racines, feuilles, écorces, sève,… ne sont pas tous d’importance égale. Nous nous sommes penchés sur les plus prisés dans 5 provinces de la RDC (Nord-Kivu, Ituri, Tshopo, Tanganyika et Kinshasa).

En République démocratique du Congo, l’étude réalisée par Profizi et al (1993) a identifié, pour les PFNL, 166 espèces alimentaires et 239 aliments, 176 espèces pour 289 usages techniques, 463 espèces à usage médicinal et médico magique.

Ce périple à la découverte des fruits de la mère-nature commence dans une commune rurale de moins de 100 mille habitants, au Nord de la province du Nord-Kivu, à 30 km de la ville de Beni. Oïcha est une cité instable suite à la présence des milices armées locales et étrangères dans ses environs. Elle a été la cible de plusieurs attaques armées durant cette dernière décennie. 

Une sorte de  thé faite à base de Ngongolio, Ngbako, ketsu, murondo et autres produits forestiers.  ©Jackson Sivulyamwenge

 « Je suis chauffeur de voiture. Chaque jour quand j’arrive ici, je dois prendre le ngbako qui m’aide à soigner les maux de hanche et soigne les reins. Je ne sais voyager sans en prendre sous peine d’être très fatigué », nous confie Sugabo Bahati, alors qu’il ingurgite sa mesure habituelle d’une tasse faite de bambou. Juste à ses côtés, un autre consommateur, la quarantaine révolue, vient boire le ngbako au même endroit depuis plus de 10 ans car, « C’est très bénéfique pour la santé, ça soigne le corps surtout en ce temps des épidémies (covid_19, Ebola, NdlR) ». Il est complété par son ami : «  Ça contrôle le pancréas, tout le corps, contrôle le risque de diabète, ça donne aussi de la force. »

Dans un coin du rond-point Oïcha, éponyme à la ville, les hommes se remplacent sur les bancs autour d’une jeune dame, la vingtaine d’âge, vendeuse d’une sorte de  thé faite à base de Ngongolio, Ngbako, ketsu, murondo et autres produits forestiers.  Il s’agit d’une infusion de différentes noix et racines qu’on ne saurait qualifier réellement de thé, de café ou potion. Une spécialité qui fait la renommée de cette cité. A la maison, dans les vérandas des chefs tout comme dans les points de vente de la cité, les consommateurs sont réguliers et viennent pour les mêmes raisons, la bonne santé et le social. Eh oui ! Il faut une bonne raison pour s’habituer à boire quotidiennement, voire plus d’une fois le jour, une infusion tellement amère et dans laquelle tout le monde te déconseille de mettre même une infime quantité de sucre.

Par la force, on attend l’état d’esprit éveillé comme celui que procure du café, mais aussi, la force sexuelle.

A Suivre….