RDC : Comment préserver la forêt ? (Partie I)

Article : RDC : Comment préserver la forêt ? (Partie I)
Crédit: © Picard Luhavo
28 mars 2022

RDC : Comment préserver la forêt ? (Partie I)

Partie I : Aphrodisiaques, médicinales, nutritifs et pas que…

« Plus de 95% de consommateurs sont des hommes, quasi-adultes », nous confie une dame d’une vingtaine d’années, vendeuse du thé à base de Tangawisi mélangé au ngbako et ngongolio, au rond-point Ouagadougou dans le quartier Kindya en ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, située au Nord-Est de la RDC.

Irvinga Gabonesis, appelé communément « Esele » dans la province de l’Ituri. © Picard Luhavo

Pour elle, la raison de la masculinité de sa clientèle est claire : « Mes clients sont uniquement des hommes car elle donne la force masculine (sexuelle, NdlR) et élimine la fatigue ». Des vertus aphrodisiaques que les rares femmes, qui en consomment dans les endroits publics, n’admettent tout de même pas. « J’en prends, mon mari en prend, mais ce n’est pas pour la force au lit. Dieu a donné naturellement la force à mon mari. Moi j’en prends pour lutter contre plusieurs maladies et la fatigue aux hanches », explique une marchande qui en consomme dans un point de vente à Oïcha. Autour d’elle, les hommes qui en consomment nient aussi qu’ils en prennent pour les vertus sexuelles. « Ça rend seulement le corps en bonne santé », disent-ils dubitativement, un peu comme gênés.

En fait, nous sommes dans une société dans laquelle tout ce qui a trait au sexe est tabou. Bien plus, aucun homme ne peut avouer qu’il a des insuffisances au lit et qu’il lui faut un turbo, de temps en temps.  C’est déshonorant de sa part.

Pourtant, les vendeuses et cueilleurs sont unanimes. Les vertus sexuelles, c’est ce qui fait vendre ces produits. Une des vendeuses de ces produits sur étalage au marché central de Bunia nous explique les différents produits préférés par les hommes pour leurs vertus sexuelles : «Les jeunes garçons viennent chercher Akoro, cette poussière ici »,  dit-elle en montrant des petites boules de poussière dans un sachet. « Puis ils viennent chercher ce kitamaka », ajoute-t-elle en montrant des morceaux de tige séchés. « Ensuite, ce mundongo »,  poursuit-elle en montrant des écorces séchées et enfin « ils viennent chercher ce murondo », achève-t-elle en montrant des racines  qui sont d’une apparence un peu cartilagineuse. Particulièrement, les  hommes mûrs, plus de la quarantaine, « ils viennent chercher le Kitamaka, le kadika  et le ngongolio », ajoute-t-elle.

Les deux derniers sont des noix très amères. Néanmoins, la noix de Ngongolio, d’une écorce noire et rouge de l’intérieur,  est plus de deux fois  volumineux que le kadika et comporte plusieurs parties, alors que le kadika est plus ou moins compact, avec une couleur grisâtre à l’intérieur.    

En province de l’Ituri, Territoire de Mambasa, chefferie de Mambasa, village Tobola dans la localité de Magbalu, à  170 kilomètres au Sud de la ville de Bunia,  nous avons croisé  monsieur Amboko, un pygmée, dont le  travail est la récolte de ces fruits de la forêt. Il explique que certains ont ce pouvoir sexuel avéré comme cet arbuste qu’il tient à la main : « Timba, si vos veines ne se lèvent pas  quand vous êtes avec une femme, mangez les écorces de ça. On coupe et mange les écorces. »

Par ailleurs, monsieur Alinga Jean-Pierre Teto est un leader Pygmée travaillant pour le Programme d’Assistance aux Pygmées, une ONG qui fait la défense des droits des peuples autochtones dans la province du Nord-Kivu, PAP-RDC. Il confirme les vertus aphrodisiaques de certaines plantes, mais l’usage ne se limite pas là.

 « Si vous manquez d’enfants dans votre couple, il y a des plantes que je vous donne et vous concevez », rassure-t-il.  Ceux qui cultivent en forêts nous font perdre beaucoup de richesses comme ces produits aphrodisiaques ; « je soigne aussi les hémorroïdes, les épileptiques, même les somnambules, les fous. J’ai des plantes que j’utilise pour les immobiliser. Si votre femme accouche par césarienne, on ne va lui donner qu’une huile à enduire sur le bas-ventre et ça ne se répètera plus.  J’ai même une jeune fille que j’ai soignée, ancienne épileptique, qui vient de se marier après sa guérison.  Même chose si vous êtes empoisonné. Je soigne le poison avec mes produits naturels. J’en soigne beaucoup dans notre dispensaire des pygmées.», nous confia-t-il dans la véranda de son quartier dans la cité de Mavivi, à une vingtaine de Km de la ville de Beni.

Le ketsu une fois séché devient noir. © Picard Luhavo

L’Ingénieur Kikulbi Kase, Chef de travaux à l’Université de Kalemie,  souligne les vertus contraceptives de certaines plantes : « Il y en a que les femmes prennent après une relation sexuelle pour ne pas tomber enceinte ou attraper les IST », nous confie-il dans son bureau.  

Les peuples bantous et les pygmées échangent très peu leurs recettes médicinales traditionnelles. Néanmoins, confrontés à certaines maladies communes comme la malaria et la diarrhée, ces peuples utilisent certaines plantes communes. « Sans partager les recettes, les bantous et les pygmées utilisent principalement les mêmes plantes contre le paludisme et les faiblesses sexuelles. »,  a constaté le Professeur Eric Kasika, ethno-botaniste et enseignant à l’Université Catholique du Graben à Butembo, dans sa thèse de doctorat intitulée « Échange d’expériences d’utilisation des plantes médicinales entre peuples forestiers. Le cas des Pygmées et Bantous Nande en territoire des Beni et Lubero ».

Jusqu’aujourd’hui, une insuffisance de médecins dans les villages, la pauvreté et l’insécurité poussent les peuples forestiers à recourir plus à la phytothérapie qu’à la médecine moderne, révèle la thèse de doctorat du Professeur Eric Kasika.

Dr Kasusula Bienvenu, médecin traitant à l’hôpital de Matanda, a souligné, lors d’une conférence scientifique à l’UCG, que les deux médecines (traditionnelle et moderne) partagent beaucoup de choses en commun.

« La matière première de fabrication des produits reste la même. A partir des plantes, ses écorces, tiges ou feuilles, fleurs. On peut recourir à certains tissus d’animaux, liquides biologiques d’animaux ou d’autres êtres. Les voies d’administration entre les deux sous-secteurs restent essentiellement les mêmes. Des produits à avaler, à administrer sur la peau, à prendre par lavement ».

La différence est tout de même fondamentale. Car selon que le tradi-praticien utilise uniquement les plantes, il est phytothérapeute, psychothérapeute ou utilise l’occultisme comme dans la pratique du massage à distance. Il est qualifié de féticheur. Pour la médecine moderne, il y a plutôt des nutritionnistes, des kinésithérapeutes,…

Docteur Kasusula Bienvenu souligne que, bien que reconnue, c’est l’organisation de la filière médecine traditionnelle et de la procédure de la fabrication des médicaments qui diffère de la médecine moderne. Ce qui est normal comme réagit monsieur Freddy Nzeka, point focal de la médecine traditionnelle dans le Grand-Nord. Car malgré la reconnaissance de la médecine traditionnelle depuis 2002, elle n’est pas financée : « L’État congolais a reconnu la médecine traditionnelle, mais n’a pas pu budgétiser cette médecine pour qu’elle puisse travailler  conformément aux normes de la médecine. Ce qui crée une sorte de méfiance entre les deux car la médecine moderne est prise en charge, tandis que l’autre est abandonnée à son triste sort, au point que tout le monde taxe les tradi-praticiens de charlatans.», déplore- t-il. 

Pour profiter des vertus alimentaires de ces produits, il n’y a pas que sous forme de thé, de légumes ou noix naturels qu’il faut les consommer. Ils sont aussi dans le vin. Aux heures vespérales, près du marché central de Bunia, un des consommateurs du vin Kargasok se confie à nous : « J’en bois depuis cinq ans et je ne bois que le kargasok. Je ne prends aucun autre alcool. »

Certaines marques de vins produits en RDC dont les ingrédients principaux sont des PFNL aphrodisiaques. ©Hervé Mukulu

En ville de Butembo, tous les vins produits localement sont faits de produits forestiers aux vertus aphrodisiaques. La principale publicité de ces vins est cette qualité aphrodisiaque comme l’indique leurs noms : Vin de mariage, Vin d’ambiance, Vin Kitoko, Vin Plaisir, Vin Nguvu, Very strong,…

Bien plus, l’industrie pharmaceutique en utilise certains impérativement : « L’écorce de Pygeum africana,( un arbre connu sous le nom de Ngote dans les territoires de Beni et Lubero, NdlR), est très utilisée. Ses extraits interviennent dans la fabrication de plusieurs produits pharmaceutiques qui peuvent aller jusqu’à soigner le cancer de la prostate. Il en est de même de l’écorce du quinquina dont est extraite la quinine qui est la molécule la plus efficace contre la malaria. Le fumbwa a une valeur pharmaceutique énorme. Il est utilisé dans la fabrication de plusieurs produits. Étant une légume, ça peut se consommer régulièrement sans risque, mais il faut améliorer sa cuisson afin que la population maximise sa valeur nutritive », ajoute Inoussa Njumboket, point focal Forêt de WWF-RDC.

 Une étude menée à Gbadolite (Province de l’Equateur) en 2015 par Jean Christian Bangata B.M de l’université de  Kinshasa montre que les produits, Cola acuminata et Piper guineense,  sont utilisés pour 15 finalités dont les principales sont médicinales comme stimulants, traitement des maux de ventre, des douleurs, de reins, irritations,…

En 2005, Le Fond Mondial pour l’alimentation, FAO, estimait qu’environ 80 % de la population des pays en voie de développement utilisent les PFNL pour se soigner et se nourrir. Car 75 % des pauvres du monde vivent en milieu rural.

Le fumbwa, une légume très aimée à Kinshasa pour ses qualités nutritives. © Sarah Mangaza

Le long parcours pour les centres urbains

Pour atteindre les grandes agglomérations, certains de ces produits réalisent des parcours de titan. Quand on voit un vendeur ambulant dans les rues de Kinshasa, la capitale congolaise, ses noix et racines qu’il trimbale dans un bocal sur la tête ou les épaules viennent de très loin comme nous confie l’un d’eux : « Ça vient de l’Angola, par route, en passant par matadi, puis moi je vais en acheter au marché de Gambela. ». Et même  dans la sulfureuse Kinshasa, les gens les préfèrent pour plus d’une raison dont certaines semblent mystiques: « Ça soigne beaucoup de parties du corps. Et si vous avez manqué où se trouve votre frère dans le cimetière, vous mangerez ceci ; et vous saurez le retrouver. », nous confie-t-il en montrant une tige.  « C’est un produit ancestral que l’on ne vole pas. Si jamais vous le volez, vous aurez des malédictions. Et puis, nous qui travaillons la nuit, ça nous procure la sécurité », nous confie ce vendeur de noix de cola et autres racines avec 12 ans d’expérience dans les rues de Kinshasa, la Belle. 

Dans cette même ville dont les statistiques sont quasiment incontrôlées et pour laquelle certaines sources rapportent qu’elle compterait entre 12 et 20 millions d’habitants, une bonne partie de la population raffole d’un légume dit « Fumbwa ».

Malheureusement, c’est un légume sauvage qui ne se trouve que dans les provinces intérieures. Par absence de route, elle prend l’avion. « Je suis grossiste du fumbwa. C’est un légume qui ne se cultive pas. Si vous le cultivez, ça ne pousse pas. Il vient des provinces de l’intérieur par avion. Ce lot vient de Kananga. », nous explique une dame rencontrée dans un dépôt à chambre froide. Plus de détails nous est donné par une autre dame, dans le dépôt voisin : « Ce fumbwa dans mes mains vient de Kananga. Les gens vont les chercher à moto à l’intérieur de la province. Puis à Kananga, les camions amènent cela à l’aéroport. Ça arrive ici par avion. De l’aéroport de Ndjili, on commence à distribuer dans les dépôts de la ville. Et c’est ici que les détaillants viennent acheter. Et à partir d’ici, certains papas en exportent pour l’Angola et pour l’Europe. »

  Des chikwanges en avant et des liboke en arrière-plan. Le premier un pain fait de manioc et le second est la coupe accompagnatrice fait de poisson ou de la viande. Le point commun est qu’ils se préparent tous dans le magungu. ©Serge Sindani

D’autres feuilles comme le magungu, à Kisangani, à Kinshasa comme à Beni, sont principalement utiles pour l’emballage de la chikwangue. Ce pain congolais est fait à base de manioc. Cuits dans ces feuilles, la chikwangue a toujours une saveur exquise que l’on ne saurait comparer à ceux cuits dans les sachets ou autres emballages. On dirait que ces feuilles font partie de l’ingrédient magique, nous confie une vendeuse de Kisangani. Dans cette même ville, ces feuilles servent à préparer un plat spécial, le Liboke. Des morceaux de viande ou du poisson avec condiments que l’on fait cuire à l’intérieur des feuilles. Un goût exquis. 

Pourtant pour les vrais peuples forestiers, ces feuilles sont encore plus utiles que ça. Ils construisent des abris et servent d’ustensiles. « On les coupe et on en fait un paquet de trois, bien accrochées, une feuille à l’autre pour qu’ils servent de toiture de la hutte », explique notre hôte. « Ces maisons ne durent que trois jours et ne sont construites que par les femmes. L’homme n’en maîtrise pas la technique.», explique un habitant d’un village pygmée à Mambasa. Cette précarité d’habitat ne pose aucun problème, car leur village n’est entouré que de ces magungu.  Ces mêmes  feuilles servent d’assiette pour le repas, d’ustensile pour garder un repas au chaud et de casserole pour la cuisson. 

Un reportage de Hervé Mukulu, réalisé avec l’appui du Rainforest Journalism Fund et Pulitzer CenterRainforest Journalism Fund.  Avec la participation de Picard Luhavo, Serge Sindani, Sarah Mangaza, Furahisha Jacques et Jackson Sivulyamwenge.


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