Hervé Mukulu

Vacciner les enfants contre la polio : un casse-tête insoluble et mortel

Faute d’un véritable effort de sensibilisation, la campagne de vaccination contre la polio risque fort de se heurter à des parents déjà farouchement opposés aux vaccin contre Ebola. Les intentions étaient bonnes, l’échec est prévisible.

Pour le Grand Nord de la Province du Nord-Kivu, 900 000 enfants sont attendus du 7 au 10 octobre pour une vaccination contre la poliomyélite. Pourtant, retenez votre souffle, la République Démocratique du Congo est un pays déclaré sain contre ce virus depuis 60 semaines déjà. Mais la récente apparition au Nigeria de deux cas met en alerte l’OMS pour une campagne de vaccination de masse.

Le problème ce que cette partie du pays, qui est la province du Nord-Kivu, est le point central de la dixième épidémie de la maladie du virus Ebola, une maladie déclarée, rappelons-le, urgence sanitaire mondiale avec plus de 2000 morts sur plus d’une année de persistance.

Cette épidémie peine à être éliminée principalement à cause de la résistance communautaire farouche exprimée à l’égard des équipes de  lutte contre Ebola.  Plus précisément, le vaccin contre Ebola est récusé car sujet à plusieurs rumeurs. Selon certains, il s’agirait « du virus d’Ebola inoculée volontairement au patient, c’est un vaccin mortel, il rend impuissant. Il rend stérile, il diminue l’intelligence. »

Cette situation est particulièrement pénalisante pour les enfants, incapables de prendre une décision par eux-mêmes, dont les parents leur interdisent de s’approcher des équipes de vaccination de peur qu’ils soient vaccinés de force. Quand il y a une vaccination en ceinture dans le quartier, les parents cachent volontairement leurs enfants pour qu’ils ne soient pas vaccinés. Certains parents vont jusqu’à priver leurs nourrissons de vaccinations de routine (contre la rougeole, déparasitage, vitamine A…) par peur qu’on ne leur inocule contre leur gré le vaccin contre Ebola.

Cette situation laisse libre court à d’autres maladies. L’alerte est devenue grave depuis la récente apparition de la rougeole dans le territoire de Lubero. Alors que la situation est critique, 900 000 vaccinations de porte à porte sont prévues pour des enfants contre la polio, un supplément en vitamine A et déparasitage au mendabetazole dans 14 zones de santé de la partie Nord du Nord-Kivu.

Toutes les mesures de protection sont prises pour éviter toute transmission d’Ebola durant cette campagne. Les désinfectants seront d’usage pour passer d’un enfant à un autre.

Néanmoins, ma crainte reste la même quand je me pose une question essentielle : « En a-t-on fait assez pour convaincre les parents d’accepter que leurs enfants soient vaccinés ? » Étant journaliste, je peux répondre que rien n’a été fait dans ce sens. Le lancement a été fait en grande pompe par l’OMS, l’UICEF et le ministère de la Santé. Mais je crains que les parents retiennent leurs enfants dans les maisons le temps que les vaccinateurs passent dans la parcelle voisine.  Et c’est ça le pire scenario. Vue la vitesse de propagation d’Ebola, une épidémie peut être déclarée dès le premier cas. Un seul cas devient un sérieux danger. Ce qui veut dire que les parents qui vont retenir leurs enfants feront d’eux de potentielles bombes à retardement.

Dieu me préserve du rôle du prophète de malheur. Mais je pense qu’une forte et grande campagne de sensibilisation aurait dû être réalisée avant le lancement de la vaccination proprement dite. Églises, associations de jeunes, medias communautaires… Nous avions assez d’institutions pour la relayer efficacement auprès de toutes les communautés… Hélas.

Hervé Mukulu


Les WC en ville, une affaire d’homme !

« Mon fils quand tu auras trouvé un endroit en ville où pisser, c’est à ce moment-là que tu seras devenu un homme ». De cette parole, Benj se souvient comme si son père le lui disait maintenant. Pourtant, il y a 9 ans, il n’avait que 15 ans. Plus encore aujourd’hui, le problème des latrines publiques dans la ville de Beni, par exemple, se pose de manière frontale : elles n’existent pas, tout simplement. Ou alors, elles sont très sales, et infréquentables. Et le problème, très politique, a des répercussions très concrètes dans la vie de tous les jours.

Benj a quitté prestement son reportage à cause d’une envie pressante. Arrivé à la rédaction, il n’a même pas eu le temps de nous saluer. Il est passé en flèche vers les toilettes. Une dizaine des minutes plus tard, il revient en marmonnant : « Chaque jour je me rends compte combien mon père avait raison ».

Aujourd’hui, Benj vit cette réalité au quotidien. En tant que journaliste, il fréquente toutes les entreprises. Et parfois, même là, impossible de trouver les moindres toilettes. « Un jour le directeur d’un grand office étatique avait dû nous planter pendant une heure puisqu’il était obligé d’aller faire ses besoins chez lui.  Même des entreprises dont les responsables roulent en carrosse n’ont pas d’installations sanitaires », raconte-t-il. Et il ajoute : « Je connais une entreprise privée qui a dû quitter ses locaux laissant quatre mois de bail parce que le propriétaire de l’immeuble refusait de mettre 2000 dollars dans la construction de latrines alors même que cette entreprise payait déjà 650 dollars le mois. »

Oubliez les latrines publiques. Elles sont inexistantes. Et quand il y en a dans des lieux publics comme les marchés ou les écoles, elles sont infréquentables. Personne n’en prend soin ! Si jamais on y va, c’est uniquement parce que l’on est obligé. Il faut même arrêter de respirer le temps de faire ses besoins et puis déguerpir le plus rapidement possible.

Même spectacle dans les universités où l’on ne compte parfois que deux latrines : une pour les femmes et une autre pour les hommes. Le comble ce que ce sont les voisins qui souffrent car non seulement les mauvaises odeurs les gênent jour et nuit, mais en plus, leurs latrines sont sollicitées avec insistance voire salies régulièrement par des intrus.

Garçons de ville

Ça n’étonne donc plus personne de voir en plein jour quelqu’un uriner contre un mur sous les yeux des passants. En réalité, cela arrive à tout le monde.

Seuls les connaisseurs de la ville se débrouillent bien. « Je fréquente toutes les boites de nuits et les bars de la ville. J’y entre tout simplement. Je vais faire mes besoins et je ressors calmement »,  nous explique ainsi George.  Une technique qui fait ses preuves, car les boites de nuit et les bars de luxe sont les seuls endroits qui ont des installations sanitaires propres. D’autres n’hésitent pas à faire usage des latrines des banques où ils entrent comme des clients et ressortent quelques minutes plus tard. Malheureusement, on ne peut le faire tous les jours.

Quand je parle des bars, je ne  parle pas des boutiques sur la rue transformées en buvettes. Les clients de ce genre d’endroits, s’ils ont de la chance, ont un sceau dans lequel pisser ; mais pour la plupart, ils pissent dans la rue. Ivres et en pleine nuit, personne ne s’inquiète.

Alors je m’interroge : a-t-on déjà réfléchi à construire des latrines publiques payantes ? Pensons aux bénéfices qu’une telle politique pourrait engendrer grâce, indirectement, à ces besoins physiologiques auxquels nous sommes absolument tous soumis ? Le marché est assuré : payer pour des latrines publiques coûte nettement moins que de payer le taxi aller-retour à la maison, le tout en perdant au moins une bonne demie-heure de temps de travail. Une preuve s’il en fallait qu’investir dans la construction et l’entretien de toilettes publiques est rapidement rentable.

Hervé Mukulu


Le shilling ougandais règne en maitre dans les cités frontalières congolaises

Plus d’une dizaine des cités et villages congolais, dans les environs de 30 kilomètres de la frontière congolo-ougandaise, utilisent le shilling ougandais comme si c’était la monnaie locale. Par contre, le franc congolais n’est même pas usuel à Bwera, le tout premier village ougandais quand on traverse la frontière. Pourquoi cela et comment y remédier ?

Il y a quelques mois, quand j’arrive à Lume, mon hôte me demande : « Tu veux bien changer ton argent en shilling ? »  Je demande pourquoi et il répond : « C’est plus pratique. Tu verras. » À près de 30 kilomètres de la frontière entre le Congo et l’Ouganda, dans une commune rurale de plusieurs milliers d’habitants, il me faut utiliser le monnaie étrangère pour manger dans un restaurant, payer la course taxi-moto, acheter des unités, consommer un sucré… C’est hallucinant !

C’est alors que mon ami me cite les noms de plus d’une dizaine des villages et cités congolaises qui utilisent principalement le shilling ougandais dans les toutes les transactions, y compris Kasindi, la plus grande cité congolaise à la frontière avec l’Ouganda.

Ce matin-là, le dernier jour de mon séjour à Rugetsi quand je vide mes poches, je n’y trouve que des shillings qu’il me faut rechanger en Franc congolais avant de regagner la ville de Beni à près de 40 km.
©Hervé Mukulu

 

La raison est simple. Toutes ces agglomérations congolaises dépendent économiquement de l’Ouganda. Tous les produits manufacturiers viennent de l’Ouganda. En plus, c’est l’Ouganda qui est le principal acheteur des produits agricoles des congolais de la région. Cette région frontalière de l’Ouganda, dite « secteur Ruwenzori », est très prolifique en matière de produits liés à l’exportation comme le café, le cacao et le latex de la papaye dite papaïne… dont le prix est très bas au Congo. Mais quand ces produits passent en Ouganda, souvent par fraude, le prix est nettement plus avantageux pour les producteurs.

Par exemple, au Congo, un agriculteur vend un kilo de cacao aux exportateurs entre 1 et 1,5 dollars. Il est obligé car c’est l’exportateur qui fixe le prix. Par contre quand l’agriculteur fait traversser, par fraude, une cargaison de cacao du Congo vers l’Ouganda, il peut vendre aux exportateurs ougandais un kilo à environ 5 dollars. Il gagne nettement plus ! Les légumes et légumineuses aussi traversent la frontière pour alimenter les cités ougandaises. C’est ce qui fait que l’Ouganda impose sa monnaie dans toutes les transactions dans la région.

De l’autre côté du mur

Je me rappelle de la première fois que j’ai vécu cette expérience en 2014. Alors que les changeurs de monnaie nous voulaient quelques cents dans la conversion du franc congolais en shilling à  Kasindi, une fois du côté Ougandais, le franc est une monnaie étrangère au vrai sens du terme, une devise. Elle n’intervient pas les transactions courantes. En 2019, la situation reste la même.

Katembo Kalume, habitant de Lume, enseignant et agriculteur, m’avoue fièrement qu’il serait prêt et fier à être appelé Ougandais si jamais cette région se faisait annexer par l’Ouganda. Car lui ne reçoit rien du gouvernement congolais.  Il ne comprend pas pourquoi son propre pays peut lui rendre la vie difficile en fixant de vils prix pour l’achat des produits par les exportateurs nationaux en plus de l’imposition d’une multitude des taxes.

C’est cette dépendance économique à l’Ouganda qui explique l’utilisation du shilling ougandais. Même si par fierté, le Congo voudrait réimposer sa monnaie, s’il n’offre pas des opportunités d’affaires avantageuses à ses habitants, la devise ougandaise restera la seule reine dans la région.

Je pense qu’il est temps que la République du Congo adhère à des organisations regroupant les pays Est Africains et particulièrement le Commonwealth. Ce qui permettrait aux Congolais de l’Est de bénéficier des mêmes opportunités que les pays voisins et d’être traités équitablement pour redorer la fierté congolaise.

Hervé Mukulu


Automédication, rescousse suicidaire du pauvre-intello

Des antibiotiques achetés dans une officine pharmaceutique sans ordonnance ©  Hervé Mukulu
Des antibiotiques achetés dans une officine pharmaceutique sans ordonnance © Hervé Mukulu

« Nous ne servons  les médicaments que sur ordonnance médicale!,  me répond la none tenancière de l’officine pharmaceutique de la paroisse ». Pour la première fois de ma vie, une pharmacienne a refusé mon argent pour la noble raison que son officine ne sert que sous ordonnance. Je ne cherchais que des anti-malarias. Pourtant les médicaments se distribuent comme des cacahouètes en ville de Beni alors que le danger est énorme. Car tout médicament  mal usé est un potentiel  poison rappel Docteur Michel Tosalisana, médecin chef de zone Beni.

En effet, les officines pharmaceutiques ont déjà pris la place des cabinets médicaux. Si on n’a pas un médicament en tête pour son problème de santé, la pharmacienne vous pose quelques questions comme dans une consultation et vous propose une gamme des médicaments  comme on vous propose différentes  formes de pains dans la pâtisserie du coin de la rue. Certaines pharmaciennes, n’étant  ni infirmières ni pharmaciennes de formation mais, mais  à force de recevoir les commandes le long de la journée, maitrisent les médocs liés aux maux récurrents dans la région.

Le problème est qu’il semble que le malade et le pharmacien ignorent sciemment qu’ils jouent avec une vie en se cachant derrière la bonne volonté de soigner.

Se procurer des médocs à la pharmacie du coin est devenue une habitude à tel que point la pratique semble banalisée ou tout simplement acceptée comme normale. Ne dit-on pas que l’usage commun fait-loi ? Pour la santé c’est un crime car des médicaments contrefaits sont légions en circulation reconnait la première autorité médicale de la ville de Beni.

Alerte des hypocrates.

Face à cette situation, les autorités sanitaires ne cessent d’interpeller que l’usage des médicaments doit être prescrit par un professionnel de santé après des examens médicaux. En effet, sans diagnostic sérieux ni examen, le patient  court le risque d’une intoxication médicale qui n’est pas différente d’un crime pour l’un et suicide volontaire pour l’autre puisque dans certains cas avérés, ces genres d’erreurs conduisent à la mort.

 

L’alibi d’une maladie bégnine.

Dans la plupart des cas,  on prétexte qu’on achète des médicaments pour des maladies bégnines comme les maux de tête, les maux de vendre, les maux d’estomacs, la malaria, des calmants, …Depuis quand la malaria qui tue des milliers  d’individus annuellement est une maladie bégnine ?

En effet, un bon nombre de médicaments sont constitués des principes actifs qui sont tirés ou agissent comme l’agent causal de la maladie. Une fois dans le corps ils renforcent les anticorps. Ils limitent ainsi l’action des agents causaux des maladies comme un vaccin.

Le risque avec l’automédication est qu’une dose insuffisance augmente la résistance des bactéries,  virus ou autre agent causal de la maladie et une surdose devient du poison dans l’organisme. Ce qui devient un suicide volontaire voilé des bonnes intentions mais limités par les moyens.

Le pauvre intello et le cout de service.

Vous conviendrez avec moi que l’automédication est loin d’être une affaire des ignorants. D’ailleurs se sont des intellectuels qui entrent dans les officines pharmaceutiques avec des noms pompeux des médicaments qu’ils ont lus çà et là, usant ainsi des noms scientifiques des médicaments face à la pauvre diplômée d’Etat pharmacienne qui ne connait que le nom commercial.

Dernièrement après un incident malheureux, un ami a fait un court séjour à l’hôpital. Tout ce qui lui a été administré comme médicament est  une injection d’antidouleur et une plaquette des comprimées d’antidouleurs. Après un détour à la pharmacie, j’ai constaté que ces médicaments ne coutent même pas 1OOO franc Congolais (près de 0.7$ au taux du jour)/ Mais sa facture a été libellé ainsi : «  2 consultations : 2$, 2 fiches : 2$, médicaments : 1.5$, soins : 1$, divers : 1$. Total 7.5$ ». Et il n’a pas été mis le prix de la chambre qui doit certainement varier entre 5 et 10$ par jour puisqu’il était dans la salle d’observation.

La facture parait ainsi justifiée mais par rapport aux médicaments reçus, il y a de questions à se poser. Je suis certain que la prochaine fois, l’ami se présentera à la pharmacie au lieu de payer plus de 5$ de services connexes.

Il est vrai que l’hôpital joue un rôle d’espoir, que la blouse blanche du médecin rassure le malade mais la facture qui s’ensuit n’est pas corolaire au pouvoir financier du malade.

Peu de malades.

La situation s’empire de plus en plus car en force de s’auto-mediquer  puis que l’on craint les frais de l’hôpital, on ne sent obligé de se rendre à l’hôpital que quand la situation est devenue intenable, pire. Ce qui fait aussi que la facture deviendra encore plus salée.

Il faut tenir compte du fait que l’hôpital est une entreprise qui a non seulement des frais à couvrir mais aussi et surtout des devoirs de rentabilité pour les promoteurs. Et comme les malades ne viennent pas de plein cœur, les rares qui s’emmènent désespérés doivent couvrir les frais.

Le bilan de santé.

Dans le meilleur de situation un homme est sensé se faire consulter chaque mois ou réaliser un bilan sanitaire tous les six mois au plus tard l’an. Mais, il s’avère que le cout financier est un réel frein à la bonne volonté.

Il est tout à fait impossible à un père de famille d’allouer un budget à la santé alors qu’on mange au taux du jour  et que même si l’on envoie les enfants à l’école, l’on ne sait pas d’où viendront les minervaux. C’est pourquoi une mutuelle de santé reste la meilleure solution tant personnelle que familiale.

Hervé Mukulu


S’ils ne meurent pas d’infanticide dans les maternités, les poissons congolais meurent de vieillesses aux fonds des eaux

Le bassin du Congo possède plus de 62% des eaux douces d’Afrique avec ses lacs, ses fleuves et ses rivières. Naturellement, ces eaux sont poissonneuses. Pourtant, la pèche congolaise ne satisfait même pas 10% de la demande nationale en poissons. En plus, les poissons frais péchés des eaux nationales ne sont pas à la portée de la bourse du citoyen lambda.

Vous ne pouvez pas vous targuer d’avoir été à Kalemie si n’avez pas goutté à sa spécialité, « le Mikeke ou le Mikebuka », en plus de ses multiples variétés de Ndakala (fretins). Kalemie, c’est une ville du Sud-Est de la RDC sur le large de Tanganyika, le lac le plus poissonneux d’Afrique, situé dans la province portant le même nom.  Pourtant, ce poisson, qui est péché à deux mètres de la ville coûte plus cher que le poisson dit « Thomson », importé depuis des milliers de kilomètres.

Une pêche artisanale

Les problèmes ? Ils sont légions.  D’abord, la pêche congolaise est essentiellement artisanale comme le reconnait régulièrement  le ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Élevage lors de la Célébration de la journée mondiale du poisson.

C’est-à-dire qu’elle se pratique avec des moyens du bord. Sur les lacs, sur les fleuves comme sur les rivières, ce sont les pirogues qui font l’essentiel du travail. Quelle quantité de poisson peut-on transporter dans une pirogue ? Très peu. Et quelle profondeur le filet jeté par pirogue peut-il atteindre dans les eaux des lacs, d’un fleuve ou d’une rivière comme le Lualaba à Dilolo ? Certainement  quelques mètres de profondeur seulement.

L’infanticide piscicole par moustiquaire

Ce manque d’infrastructures entraîne la destruction de l’écosystème lacustre des eaux congolaises, la destruction des berges, les maternités des poissons. On parle en fait de « frayères », ce sont les côtes où les poissons pondent les œufs. Et, comme on ne fait usage que des petits filets, ils ramassent ainsi les alevins qui ne sont encore que des bébés attendant de croire pour rejoindre les eaux profondes. Ainsi, quand les alevins sont péchés, la carence des poissons dans les prochains jours est inévitable !

En cela s’ajoute le non-respect des normes. Puisque de nombreux citadins n’ont pas les moyens de payer les gros poissons (frais, séchés ou boucanés), les pécheurs trouvent qu’ils peuvent se contenter des fretins. Ainsi, pour capturer le plus d’alevins possibles, il  suffit d’utiliser les filets qui ne respectent pas les normes. La moustiquaire devient un outil providentiel par excellence. Elle ne coûte rien du moment qu’elle est offerte gratuitement par les ONG et les Hôpitaux. Par ricochet, le matériel qui était censé protéger la famille contre les piqûres des moustiques afin de combattre l’infanticide malaria devient un outil d’infanticide piscicole. D’un coup, deux meurtres.

Non-respect des normes égale baisse de production

Dans un entretien paru dans le 413e numéro du magazine « Afrique Agriculture »  en 2016, le représentant des pêcheurs de l’enclave de pêche de Kyavinyonge, coincé entre le merveilleux Parc des Virunga et le majestueux Lac Edward, dénonçait ce non-respect des normes de pêche qui a fait chuter la production de 4500 kg à 1500 kg. C’est le résultat de l’usage de filets prohibés, de la destruction des écosystèmes lacustres et du fait qu’il existe plus de 3000 pirogues de pêches alors que les normes exigent 700 seulement pour une pêcherie comme Kyavinyonge.

La conséquence directe est la rareté des poissons dans les eaux congolaises. Pas étonnant qu’il y ait des frictions diplomatiques avec les pays voisins dont les gardes côtes surprennent, de temps à temps, les pêcheurs congolais dans leurs eaux puisque ne pouvant pêcher que sur les côtes.

Dépotoir

Ce qui concourt au fait que les villes congolaises sont devenues des débouchés pour des nations qui ont su investir dans la pisciculture. Ce n’est pas que les poissons manquent vraiment. C’est plutôt que l’on n’arrive pas à les atteindre dans les fonds des mers et que l’on se contente donc de tuer des bébés dans les maternités. Car ce manque d’infrastructures adéquates ne permet pas d’atteindre les poissons au fond des mers.

Des questions qui doivent revenir sur la table des gouvernants congolais. L’alimentaire est la base de tout développement d’une nation. Toutes les nations qui ont émergé ont suivi ce schéma. Car, à comprendre Maslow, ce n’est qu’un ventre plein qui sait réfléchir sur la réalisation de soi.

Hervé Mukulu